De Babel au Créole

DIRECTION REGIONALE DES AFFAIRES CULTURELLES SEMINAIRE DE REFLEXION
sous la direction de Jean-Paul Curnier

Vendredi 9 avril 1993
15 H 30
Salle de Canférence
Drac
23, boulevard du Roy René 13100 Aix-en-Provence

De Babel au Créole
Invité: Paolo Fabbri
-LINGUISTIQUE, PROFESSEUR À LA FACULTÉ DE LETTRES ET DE PHILOSOPHIE DE BOLOGNE ET DEPUIS 1992, DlRECTEUR DE L’INSTITUT CULTUREL ITALIEN DE PARIS.
A PUBLlÉ DE NOMBREUSES ÉTUDES DE SÉMIOLOGIE ET DE LINGUISTIQUE, A PARTICIPÉ AU COMITÉ DE RÉDACTION DE LA REVUE “TRAVERSES” JUSQU’EN 1990 ET DIRIGE ACTUELLEMENT LA REVUE “LABIRINTI”.

Une recommandation : lire son article paru dans “le Monde des débats” de ce mois-ci sous le titre : “Retrouver l’intelligence”.

Le monde devient monde*, c’est là l’irréversible nouveauté de l’époque qui vient. La diversité fragmentée des groupes humains se résout peu à peu pour aboutir à un seul et même mode d’échange, à un même mode de communication et, pour finir, à une responsabilité collective à l’égard du destin de la planète et de l’humanité.
Cela ne va pas sans frayeurs ni sans enthousiasme. Le monde qui vient sera le produit composite du refus des uns et de l’assentissement des autres, car il ne se fera plus désormais sans nous. Si bien que rien n’est encore joué entre les partisans du repli sur les particularités ethniques, culturelles, religieuses ou nationales et ceux de la mondialisation totale du monde.
C’est dans ce débat que prend place la réflexion de Paolo FABBRI, qui oppose à la tentation d’une “Babel ethnique”, repliée sur les identités culturelles, la perspective d’une créolisation généralisée des langues et des cultures comme utopie directrice; et à la revendication “d’exception culturelle”, l’éloge de l’adaptation, de l’ouverture à la richesse de la traduction comme au risque de la trahison.
A l’heure où les accords du GATT donnent à voir sur la question culturelle la confusion la plus extrême, cette pensée mérite d’être entendue et discutée en commun dans le séminaire.

De Babel au Créole – Paolo Fabbri – 7 décembre
De Babel au Créole, c’est le développement, sous la forme d’un argument pour une utopie linguistique, d’une approche de la question culturelle à partir des phénomènes d’emprunt, de traduction, de réappropriation et de transformation propres à la circulation des langues et à leurs confrontations.
L’invitation de Paolo Fabbri, projet déjà ancien, était doublement d’actualité. D’une part, en effet, un article de lui au sujet de l”’exception culturelle européenne” dans le “Monde Diplomatique” ne lui avait pas valu que des sympathies – notamment du côté des partisans d’un protectionnisme culturel – sans que cela ait pour autant amorcé un quelconque débat. D’autre part, la question du devenir des langues et celle de leur rapport à la communauté telles qu’il proposait de les traiter, outre cette imprévisible projection dans l’actualité, faisaient assez naturellement suite aux séances précédentes.

La querelle autour de la question culturelle dans les accords du GATT dure depuis plus d’un mois maintenant. Et, faute d’un débat d’idées digne de ce nom, la vie intellectuelle se donne à voir pour ce qu’elle est, c’est-à-dire repliée sur elle-même, et se conformant sans plus d’exigence aux logiques corporatistes déjà en vigueur. On voit donc des artistes, le plus souvent, et parfois des intellectuels, s’exprimer non pas, comme on pourrait l’attendre d’eux, sur le sens de ce qu’il font et sur la nature culturelle globale des dits accords, mais sur la protection du marché, sur la défense de leurs productions et sur d’éventuels quotas censés en protéger l’intégrité. De telle sorte que ce qui s’entend comme prises de positions, ressemble plus en vérité à un banal sondage d’opinion qu’à l’expression d’une réelle réflexion.
Camme pour Maastricht, le débat encore une fois n’aura pas lieu. Encore une fois, on associe mécaniquement expression démocratique et décision démocratique, en refusant de considérer que d’une part la somme des expressions brutes de chacun ne fera jamais un débat ni une réflexion, et que le débat, précisément, n’est pas une simple modalité de la décision mais un moment privilégié de construction collective du sens.
Il ne va pas de soi pour un artiste ou un intellectuel d’admettre l’existence de mesures de protection sur son travail et encore moins de les revendiquer, comme il ne va pas de soi de considérer le fruit de ce travail au mêne titre que les productions industrielles ou agricoles et encore moins d’avoir à manipuler des concepts tels que ceux d’identité culturelle, de préférence, de frontières, de consommation ou de produits.

La question, au demeurant essentielle, du langage, n’est cependant jamais posée. Il semble même qu’au prix d’un déplorable contresens, on veuille considérer que le langage n’est pas ce par quoi une culture vit et existe, mais ce par quoi elle s’exprime. Cette singulière opération de renversement des choses, sur laquelle ne s’insurge qu’un petit nombre d’intellectuels de toute façon confinés au silence, est quotidiennement assénée et amplifiée par le discours public.
Le surgissement d’un concept aussi effrayant que celui d’identité culturelle, traduit assez parfaitement la confusion d’esprit qui agite ce temps. Dès lors que ce qui vient à être nommé comme “identité” ne se conçoit plus comme l’état à un moment donné d’un processus vivant sans cesse continué, reconsidéré et remanié, mais comme la manifestation d’une condition invisible qui préside au destin collectif, c’est à une fondation métaphysique que, sans avoir à le dire clairement, les traits distinctifs des sociétés sont ramenées.
A y regarder de plus près, l’expression “identité culturelle” se présente comme la condition de possibilité de toute vie sociale, comme ce qui toujours la précède, comme son essence infondée et toujours déjà donnée. Le langage, dans ce cas, ne pouvant plus se concevoir autrement que comme l’un des véhicules possibles de l’expression de cette idée d’identité, il en devient, à l’occasion, objet de reconquête ou de protection.
On connaît pourtant les conséquences de ce glissement : il n’est guère d’autre issue pour réaliser en nature cette origine métaphysique que l’histoire de l’humanité contredit en tout point, que la terreur des armes et la logique de l’épuration.

Sous le mêne souci de ramener à la considération des langues minorisées, interdites ou déconsidérées, se retrouvent groupées deux aspirations radicalement opposées; l’une y voyant l’ouverture vers une diversité plus subtile, l’autre un repli défensif sur la pureté des origines et sur la réalisation du mythe de l’identité originelle.

C’est sans doute parce que la question du langage est immédiatement associée aux imprononçables angoisses qui meublent silencieusement notre actualité que l’irrationnel s’y loge volontiers. Mais c’est sans doute aussi parce que la question du devenir des sociétés est devenue un tabou qu’elle ne trouve pour se faire entendre que les formes de l’angoisse, des fantasmes de toutes sortes et du déni de la réalité.

Une perspective pour la pensée, proche de celle que développe Paolo Fabbri, consisterait à dire que le commun se situe précisément à l’encontre de l’uniformité. Qu’en somme, quelle que soit la taille d’un groupe humain ou d’une société donnés, la langue unique, imperméable et fermée sur elle-même est le signe de son autodestruction et de sa mort imminente. Que le commun n’est pas le résultat d’un alignement sur le même et l’identique, mais tout au contraire la perspective dessinée par l’irréductibilité de l’autre, par le déplacement de soi, auquel son existence, impérieusement, invite.

Nous ne pouvons être ensemble que séparés, toute tentative d’abolir l’infranchissable distance qui nous sépare les uns des autres, toute tentative de fusion, n’a pas d’autre issue que l’anéantissement, et la langue est l’exercice même de cette séparation comme elle est ce par quoi la séparation s’ouvre sur l’expérience du commun. Le commun existe non pas comme idée, mais comme tension, comme consultation contradictoire sur sa propre destinée. Il n’a pas d’aboutissement.

Aucune réponse ne saurait convenir à ce qui n’existe que sous la forme d’une interrogation toujours reprise et qui puise là sa force d’exister.

Je voudrais dire avant tout que la réponse aux questions chaudes qui sont posées ne se trouvera pas forcément dans mon discours. On peut prendre un geste, on peut prendre une attitude et pour ce faire, si vous me permettez, je voudrais discuter sur cette question très importante, la mondialisation de la même chose, une sorte de clonage général culturel, linguistique, qui nous menace dans le futur; el d’un autre côté, au contraire, le durcissement d’une irréductibilité ethnique, etc. Il y aurait peut-être une réponse à l’Italien et non pas “à l’Italienne” : “tradutore, tradittore”. Est-ce que cette idée de la trahison n’est pas la bonne façon de répondre ?

(…) On a toujours objecté au relativisme un phénomène tout à fait bien connu : le principe de relativisme n’est pas un principe relativiste. Cela veut dire tout simplement que lorsque vous dites que tout est relatif vous établissez un principe qui n’est pas relatif, mais qui est général. Il faudrait donc affirmer que le principe de relativisme est relatif. Problème. Le relativisme est impossible parce qu’une fois qu’il a établi son relativisme culturel, l’affirmation même se constitue comme un principe général et donc il est le plus autoritaire de tous 1es principes. L’affirmation “tout est relatif” est d’un autoritarisme suprême. D’un autre côté, vous n’allez pas choisir le contraire et dire par exemple qu’il n’y a qu’une seule vérité. Vous pourriez dire : il n’y a qu’une seule langue, une seule logique qui n’est pas, elle, relative et qui servirait à traduire toutes les lanques; ou bien : les langues sont autocentrées et à ce moment-là comment ferait-on pour les traduire en faisant une expérience empirique que nous connaissons. Il n’y a pas une seule langue qui, à un certain niveau, ne soit pas traduisible. Mais nous avons aussi l’expérience fondamentale dans toutes les langues qu’en réalité une traduction complète, totale, transparente d’une langue n’est pas possible. Nous sommes pris entre le paradoxe qu’il n’y aucune langue qui à un certain niveau ne soit pas traduisible et, on peut dire, qu’il n’y a aucune langue qui soit complètement traduisible. Cela nous laisse entre relativisme et totalisation. On est toujours préoccupé par ce phénomène du fait qu’un jour les langues seront toutes homologuées, détruites dans leurs différences, etc. J’ai invité à l’Institut culturel italien Changeux, que je crois campétent, et je l’ai interrogé sur le “cloning”. Pourrat-on reproduire des hommes égaux à eux-mêmes ? Mais seulement le cerveau est plastique et, étant donné qu’il évolue avec les expériences de chacun, après quelques années, quelques mois de la vie, tous ces gens identiques deviendront différents. Donc le clonage ne doit pas vous effrayer parce que notre cerveau comme notre culture sont évolutifs. L’organe lui-même est évolutif. Il y a certes des menaces d’homogénéisation mais ne craignons rien : la seule possibilité de cloning c’est que l’on ne peut pas tout cloner; c’est-à-dire le seul principe de traductibilité est le seul intraduisible de notre fonctionnement.
Comment est-ce possible ? On peut très bien défendre l’hypothèse qu’au-dessus de toutes les langues, étant donné que l’on peut toujours traduire, il y ait quand même une base. Première hypothèse : si nous sommes égaux et si nous sommes démocrates, nous pouvons estimer que nous avons tous les mêmes droits et tous la même raison et donc que l’on pourra résoudre le problème des langues en établissant pour tous la même langue. Deuxième hypothèse : chacun de nous élabore des expériences partagées dans notre communauté ou dans des communautés plus petites, on élabore des morphologies. Bien sûr on a une langue commune mais les morphologies des langues ont tellement fleuri entre les langues par classe morphologique, comme le Bantou ou les langues dont certains mots sont interchangeables comme le Chinois, il y a un tel abûme de différence que tout en permettant la possibilité d’une traduction, elles sont largement incommensurables.

(…) Imaginons que deux langues, au lieu d’être deux systèmes fermés, séparés par des frontières rigoureuses, soient en réalité deux systèmes non physiques (il n’y a pas de physique des langues mais une biologie des langues), qu’il y ait une biologie des langues – des phénomènes de croissance, de transformations réciproques -, que les frontières soient excellentes et qu’il faille les conserver non pas comme lieux indépassables mais comme des filtres de traduction (toute communauté frontalière sait très bien que toute trahison ou contrebande sont essentielles pour les cultures et lorsqu’il n’y a pas de contrebande, le niveau culturel baisse).
Tirons quelques conséquences très utiles pour l’Europe d’aujourd’hui : toute communauté linguistique qui ne soit pas plurilingue au niveau des langues et des types de discours, doit être considérée comme défective par absence de différenciation. Toute communauté qui n’aurait qu’une seule langue est vouée à la sclérose. Cela peut arriver; il suffit d’y introduire la diversité pour qu’elle devienne “naturelle”. Cela inverse les hypothèses et produit des choses amusantes comme les vocabulaires, etc…. Exemple : on a retiré un paithos terrible de ce que les Américains appellent “lost in translation”, ce que l’on perd dans la traduction (Ah! comment rendre cet ineffable… etc.). Et si on se plaçait de l’autre point de vue, du côté du “found in translation”, ce que l’on a trouvé dans la traduction, si l’on se mettait tout le temps à trouver les expressions bizarres, drôles, auxquelles la traduction nous a forcés. Et au lieu du pathos, du pré-babel perdu, si on se mettait dans la perspective d’une trouvaille systématique.
Une bonne traduction serait, comme l’a dit Mallarmé, une activité poétique qui serait capable d’enrichir la langue de départ et la langue d’arrivée. On aurait alors un critère esthétique pour·la bonne traduction. Une bonne traduction serait donc celle dont la langue aurait été influencée, tout en conservant ses spécificités et en s’imprégnant de la langue de départ.
D’ailleurs tout le monde a fait l’expérience de retraduire, dans la langue initiale, la langue que vous avez traduite dans votre langue. On découvre très vite que la question du rendu est vaine et qu’en réalité il s’est passé quelque chose de plus.

(…) Mais, si au lieu de commencer par le complexe, se disent actuellement les études sur les universaux du langage, on commençait par le “petit nègre” ? Si on regardait la façon dont chaque langue pour se “déshabiller” pour les besoins minimaux, s’appauvrit. Et si elle s’appauvrissait de façon systématique, trouverait-on un jour la langue universelle ? C’est assez amusant. La langue universelle, donc, se retourne et deviendrait exactement ce que je disais de la langue pré-babélique : elle ne serait pas la langue qui est devant nous et qui recueillerait l’immense diversité sous une langue unique. La langue universelle ne serait que le ”petit nègre” que nous aurions réussi à établir une fois que les communications seraient tellement bêtes qu’on obtiendrait le degré zéro de cette langue. Si nous arrivons un jour à découvrir les universaux du langage, on découvrira le ”petit nègre” plus “nègre” qu’on puisse imaginer. La “lingua franca” plus “franca” encore. Mais rien ne le prouve.

(…) Nous voyons dans les langues qui se créolisent, pour s’opposer à la langue qui se ”pidginise” – pour moi créole signifie tout mouvement d’enrichissement d’une langue préalablement appauvrie -, donc, nous voyons dans ces langues une augmentation de complexité qui se fait dans la forme morphologique même de la langue. Là nous sommes en face d’un phénomène intéressant : nous voyons in vivo et non in vitro comment une langue s’enrichit. Donc le programme créole linguistique aujourd’hui est essentiel. C’est-à-dire nous demandons à la créolisation des langues l’expérience non pas de l’universel – degré zéro de la ”lingua franca” – mais nous lui demandons de comprendre comment chaque fois que nous discutons ensemble, pour articuler nos connaissances, nos relations, nos amours, etc., comment nous enrichissons les langues. Par exemple l’appauvrissement de l’intonation qui est essentielle quand vous voulez dire “signorita spaghetto”, que vous voulez dire que vous voulez le manger et pas l’acheter; l’intonation est essentielle. L’intonation se perd et en revanche la morphologie se ré-articule.
Donc le créole est le mouvement de création de langues nouvelles après un mouvement d’appauvrissement préalable. Il est possible que le français et l’italien soient le résultat d’une créolisation après l’appauvrissement du latin. Il y a eu un moment où le latin est devenu une sorte de pidgin, de ”lingua franca”, où on disait si on voulait demander à quelqu’un où il menait son âne : “Ubi ducis istum asinum ?” (rires). Il est très probable qu’ils parlaient comme ça, les Italiens et les Français et que, après un enrichissement systématique, les langues se soient différenciées par rapport à cet appauvrissement, par une créolisation enrichissante. Et qui n’a jamais arrêté de l’être. Donc, en réalité, ce qui serait aujourd’hui intéressant de voir ce sont ces mouvements de créolisation.

Alors ce que je vais dire au niveau de la métaphore politique est tout à fait clair : c’est-à-dire que la rencontre avec l’étranger; la culture de l’autre, se fait toujours dans le sens d’un appauvrissement, d’un “petit nègre” qui, inévitablement, rencontre de l’autre la plus bête de ses définitions. Qu’on regarde les Italiens ou les Arabes dans la direction d’une inexorabilité de lieux communs, de “petits nègres”. On transforme leurs coutumes en des lieux communs, au minimum zéro : “bon giorno/cigarretto/spaghetto” etc. et que ce n’est qu’après qu’un contact actif peut devenir rentable. Et à ce moment-là “angoisseur” doit entrer dans le langage (rires). Bien, je termine là avec ma petite métaphore qui est quand même utile. Vous savez que l’une des raisons pour lesquelles une communauté, dans la rencontre avec une autre communauté, emploie le pidgin est la suivante : parce qu’en parlant avec l’autre à ce niveau très bas, vous restez vous-même. C’est-à-dire la fonction du pidgin n’est pas communicative; elle a le but de préserver celui qui parle pidgin dans son ghetto. C’est la connaissance de l’autre dans la direction de la simplification minimale et qui vous permet d’avoir une communication avec lui et de ne plus rien avoir à faire ensuite. A la limite, les langues pidgins défendent l’intimité. Laissez-moi vous parler d’une chose qui vous paraîtra horrible mais qui ne l’est pas : la fonction du ghetto (je ne parle pas du ghetto juif mais du ghetto italien – je pense à Little Italy à Brooklyn). Les communautés Italiennes qui ne parlaient presque pas anglais utilisaient le minimum d’anglais pour communiquer avec les autres ethnies, puis les gens retournaient entre eux à leur intimité où la communication en patois strict était d’une intensité extraordinaire, d’une richesse énorme.

Il ne faut pas oublier cette fonction des ghettos. Ils ne sont pas que des lieux d’exclusion qu’il faut forcer à la communication, éventuellement stéréotypique. Les ghettos doivent être compris et défendus, ils ne doivent pas être abandonnés. On dit aujourd’hui que le pidgin naît quand deux communautés de lanques différentes se rencontrent, par exemple chinoise et noire, dans un même lieu – une plantation par exemple – et sous une langue dominante, par exemple l’anglais ou le français. C’est-à-dire que le pidgin se développe non pas à partir de deux mais de trois langues dont deux s’expriment non pas directement mais à travers une troisième qui permet une communication minimale et qui permet aux gens de se sauvegarder. C’est la façon dont nous nous servons de 1’ang1ais aujourd’hui.

J’entends parfois avec malheur; moi qui suis de langue latine, les gens répondre en anglais dans les restaurants aux Français et les Français répondre en anglais. Je suis bouleversé. Ils demandent le pain… “Pain”, “pane”, c’est pareil et ils disent “bread” (rires). Je suis absolument stupéfait. Mais en même temps je sais ce que ça veut dire, la stratégie n’est pas du tout d’apprendre l’anglais. L’anglais n’est pas le but de cette affaire; le but c’est de dire : on se sert de cette sorte de pidgin international comme ça moi je reste français, toi tu restes italien. Donc comme ça le pidgin peut renforcer l’idée de… moi je suis pas anglais du tout, mais surtout pas italien non plus!

Bon. Si c’est comme ça, je pense que nous avons à affronter l’avenir en état de traduction et dans ce cas-là aussi, en état d’allégorie. Merci.


Lire à ce propos le livre de Jean-Luc Nancy “le sens du monde” qui vient de paraître chez Galilée. torna al rimando a questa nota


Da: Présentations. Un séminaire sur la vie de la pensée, a cura di Jean-Paul Curnier, Les Cahiers de la DRAC, Aix-en-Provence, n. 3, juillet, 1994.

Print Friendly, PDF & Email

Lascia un commento